J’ai commencé ma maturité durant l’année scolaire 2013 à Auguste Piccard, au retour d’un an dans une école de musique londonienne. Avec un an de retard, je me suis donc retrouvé à l’automne de mes 17 ans dans une classe avec des camarades avec lesquels je m’entendais certes très bien, mais avec qui il était difficile de partager au-delà de l’environnement gymnasial et de cette routine scolaire qui me pesait déjà fortement. En effet il est difficile, après un an d’autonomie (sauf financière) dans une ambiance universitaire de grande ville, de retourner chez ses parents, d’être considéré à nouveau comme un enfant par un système strict et envahissant.
Pendant près de sept mois, ma vie se résumait à l’attente du week-end pour enfin respirer un peu, travailler l’allemand avec lequel j’avais tant de mal, reprendre les maths après un an d’abstinence totale, souffrir de l’ennui dans les cours d’anglais. Moi qui aimais tant la guitare, c’était à peine s’il me restait trente minutes le soir pour en jouer. Ce n’est pas la présence du gymnase qui m’a fait prendre la décision de partir, je m’y sentais bien une fois là bas ; c’est l’absence de tout le reste qui est insupportable.
Quelque chose m’a effrayé, c’est de prendre conscience durant l’année que la majorité des étudiants, d’environ 16 ans, ne connaissaient rien d’autre que cette routine. Certains font de la danse ou du foot une ou deux fois par semaine, font du dessin ou pratiquent un instrument sans motivation, mais peu bâtissent des projets qui dépassent l’horizon scolaire, des vraies passions pour lesquels on a vraiment l’impression d’exister. Lorsque j’ai constaté ça, j’ai aussi compris que ce n’était pas leur faute, mais la faute de ce vers quoi je marchais tout les matins, de 6h30 à 17h30. J’ai alors quitté le gymnase du jour au lendemain, en prévenant la veille mes camarades, qui furent soit choqués, soit attristés. De décision commune avec mes parents, je commençais maintenant le difficile périple de la maturité fédérale en autodidacte.
J’ai commencé à travailler chez moi en préparant l’examen du premier partiel avec des cours par correspondance. J’étais à nouveau libre de mes actions et autant le dire tout de suite, c’est ce qui est le plus dur à surmonter. La deuxième difficulté était de trouver une manière de travailler seul, de planifier l’énorme quantité de matière à apprendre. Je n’étais ni bon pour planifier, ni assez déterminé pour me pousser à travailler. Le résultat fut simple : Je me sentais incapable d’avancer, embourbé dans toutes ces matières, et l’envie n’était pas là.
La première année fut pratiquement inutile, dans le sens où je n’avais concrètement presque rien fait. Je ne m’en souciais pas vraiment, l’examen était trop éloigné de moi pour avoir de l’effet. Je devais aussi lutter contre la perte de temps qu’apportaient les écrans et la fête avec les amis. Au final, je travaillais peu et je ne faisais pas autant de choses extérieures que je le voulais. J’ai commencé à m’en vouloir, bien que je sois de nature à ne pas culpabiliser sur moi-même. Mon incapacité me pesait beaucoup, et tout le monde sait aussi bien que moi à quel point on peut se trouver des excuses lorsqu’on est seul maître de nos actions. Mes parents étaient bien sûr un grand soutien et une motivation, mais ils n’avaient pas le temps de contrôler mon avance, ils me faisaient confiance et ce n’était de toute façon pas le but de la démarche.
Je comprenais maintenant pourquoi le gymnase était une solution si simple. Etre forcé, c’est n’est pas se confronter à soi. Le choix est simple : respecter les horaires ou être réprimandé, travailler ou être réprimandé.
Enfin, petit à petit, j’ai commencé à entrer dans la matière. Et tout ce que j’avais fait durant la première année n’était pas inutile. J’ai pu me regarder en face, et j’ai tâtonné dans cette forêt dense pour trouver un moyen d’avancer. Nous avons déménagé avec ma famille fin 2015 à quarante-cinq minutes de mon précédent domicile. Alors que j’étais totalement réticent à cette idée, je me suis rendu compte que c’était le moment ou jamais de casser certaines habitudes pour en prendre de meilleures. J’ai aussi rencontré à cet endroit ma petite amie qui m’a immensément aidé à respecter mes résolutions. Je travaillais mieux, plus efficacement, bien que ce ne soit rien par rapport à ce que j’aurais pu faire, me dis-je aujourd’hui. Mais cela n’a pas de sens, on ne peut pas simplement décider de quelque chose pour que ça arrive. Dans une telle situation, le chemin qui sépare la motivation du résultat n’est ni long ni court, il est. Chaque pas est une étape. L’autre grande motivation fut de m’inscrire aux examens d’été 2016. Avoir une limite m’a beaucoup aidé. Sur les trois derniers mois, je pense avoir fait la même avancée que tous les mois précédents.
J’avais bien sûr l’aide de personnes géniales, qui m’ont éclairé lorsque je ne comprenais pas certaines choses. J’ai aussi pu trouver du soutien de jeunes dans le même cas que moi, notamment Marre de Café, une association pensée par mon frère Thibault qui regroupe des étudiants autodidactes, pour la maturité ou d’autres projets qui demandent un investissement personnel et une réflexion sur la démarche importants. Avec la participation de Guido, ancien professeur de philosophie qui est présent pour orienter les rencontres et fournir des pistes de réflexions et de planification, les moments passés ensemble permettent de retrouver de la motivation, de dédramatiser certaines choses qui peuvent paraître difficiles au premier abord et de trouver les raisons intérieures de ce choix, que ce soit de faire la maturité ou justement de trouver une autre direction plus adaptée. Le fait de partager avec d’autres sur la façon de travailler est rassurant.
Mon premier partiel se passa bien, sans notes négatives mais sans grande réussite. Mais le plus important était que j’avais enfin pu constater que mon travail portait ses fruits. Commença alors la route vers le deuxième partiel. Les matières étaient complètement différentes à aborder et je me retrouvait dans une situation ressemblant au début. Se remettre au travail fut difficile. De plus, je partis un mois avec mes parents au Vietnam, ce qui évoqua des questionnements sur l’importance de faire la maturité. J’ai trouvé mes marques plus rapidement cette fois, mais il a fallu repousser l’examen de six mois, ce qui laissait un intervalle de dix-huit mois pour se préparer. Je n’avais quasiment aucune connaissance en allemand et cela me faisait très peur. Environ six mois avant l’examen, je partis cette fois-ci un mois au Sri Lanka avec ma petite amie, réveillant une fois de plus ce sentiment de ne pas travailler pour quelque chose de concret.
J’aime apprendre et surtout comprendre des choses, mais cette camisole théorique dans laquelle j’étais enfermé me donnait l’impression d’être coupé de la réalité. A cela s’ajoutait toujours une grande perte de temps sur le travail, avec cette fois une grande culpabilité concernant mes parents qui avaient fournis d’énormes efforts pour moi. Le fait de ne pas leur rendre la pareille, de leur cacher la réalité de mon travail m’a définitivement poussé sur la dernière ligne droite. Bien qu’il y ait toujours des hauts et des bas, j’ai trouvé l’idée de gâcher ces dernières années si insupportable que j’ai décidé de ne plus avoir de regrets. J’ai usé de beaucoup de procédés d’apprentissages et de motivation qui s’étaient mis en place tout au long du périple. J’ai bien sûr eu de l’aide de nombreuses personnes dans différentes matières, afin de volontairement me pousser à travailler. Finalement, le deuxième partiel fut un succès, et plus que ça, ce fut la concrétisation de tout ce travail sur moi. J’ai décidé d’aimer l’allemand, et j’ai pu avoir la moyenne à l’examen. J’ai décidé de ne pas regretter ce que j’avais commencé et ce fut un immense soulagement d’être capable de se tenir à ce choix.
Aujourd’hui, je me rends compte que bien que cela ait pris un an et demi de plus que le système normal, je ressens une grande fierté d’avoir surmonté cette épreuve. Je me sens capable de beaucoup de choses, néanmoins je sais maintenant qu’il est parfois nécessaire d’aller chercher de l’aide et des compétences chez d’autres. Avancer sans motivation externe est très difficile, mais il est très enrichissant de se donner ses propres limites et ses propres motivations.